LA FOLIE, L’AMOUR, LA LIBERTÉ, L’ORDINATEUR ET DIEU
Le vieil homme battait son chien. Il rageait contre sa solitude. Son seul ennemi, c’était lui-même. Toute sa vie se motivait par ce combat. Au début, c’était une lutte loyale et légale. Tel un chevalier pourfendant les infidèles, il avait une tâche divine : libérer la terre sacrée de l’empreinte des impures. Évidemment, c’était moins risqué de traiter l’autre d’impure que de se déclarer soi-même pure. C’était comme un détournement de valeurs… En fait, l’autorité, c’était lui. Et, son chien le lui prouvait bien. C’était pour cela qu’il le nourrissait, le flattait même. Une femme ! Pour quoi faire ? Bien sûr que certains soirs, il se sentait plus seul, mais : « J’ai la télévision payante » , disait-il. Pour le reste, le chien habitait bien le deux pièces. Je crois bien que ce dernier avait décidé de jouer le jeu du bipède. Quoique, certains jours de tempête lorsque son dos lui faisait mal, l’animal en doutait un peu.
Le point commun me semble être la séparation du moi actif du moi observateur. Je crois que le vertige se situe à cet endroit précis où le moi observateur se voit à côté de soi… soit du haut de la montagne, soit à la télévision, comme une mécanique qui exécute le précédent ordre amorcé clandestinement.
J’avoue ! Je vis cette incommunicabilité (ouf !) comme d’autres, mais elle n’est pas angoissante. Maintenant, j’assume ma solitude, la solitude humaine. Ce lieu, cette musique, cette sensation, ce basculement où, même comblé par une compagne, des enfants, des amis, l’humain se retrouve seul… Non pas abandonné par les uns ou par la vie, mais simplement dans ces moments où il retrouve le fondement même de sa vie individuelle. À nouveau, il quitte l’utérus; une pression s’exerce sur tout son corps ; il a froid ; il crie de peur, de rage, de désespoir, d’espoir… Oui, je sais. Y-aura-t-il des bras accueillant ? Un coeur aimant ? Cela prédisposera son attitude, orientera ses pensées. Mais je crois, mais j’en suis convaincu au nom de la liberté d’être, sinon l’absurde prend le dessus: il choisit. Je choisis de vivre, de survivre ou de mourir. Ce choix s’opère en un clin d’oeil, plus rapide que les nouveaux ordinateurs traitant des millions d’informations à la seconde. En un laps de temps record, je fais le tour de mes milliards de cellules, du fouillis de mes pensées, de la masse de sentiments qui m’habitent, je capte mon environnement comme l’éclair et, finalement, je décide de marcher, de me coucher ou de me noyer.
Il y a ces moments où je me vois décider. C’est cette séparation du moi-décideur et du moi-observateur qui est mon propos. Je me vois décider de… Je marche à côté de moi.
Je pense que le problème n’est pas de marcher à côté de soi plus ou moins longtemps comme on catalogue un schizophrène léger ou profond, mais de vivre l’angoisse de marcher à côté de soi, d’avoir peur. Là, se joue toute l’importance de l’Amour. Cet amour reçu à la naissance, devant mes premiers pas. Cet amour qui gonfle mon poitrail et qui me donne des ailes. Maintenant, tout est possible. La vie ne sera qu’une bouchée. Je serai l’avaleur et non pas l’avalé. Même le fait de marcher à côté de soi peut être une aventure exaltante… Dieu est un poète.
C’est dans cette attitude d’esprit que je situe ma foi en Jésus-Christ. Accueillir au centre de mon existence, de mon être, de mes expériences, la présence essentiel qui, comblant l’insécurité inévitable du moi individuel, lui permet de vivre librement l’aventure exaltante de la vie. (Je sais que certains voient dans cet accueil de la présence d’un Autre, la démission du moi devant l’absurdité de la vie. Plutôt, je dirais : la vie devient absurde lorsque je décide de la vivre seul). Alors, dégagé de l’angoisse, de la honte, de la mort, de la loi, des ordres, des contraintes humaines, il peut… je peux me consacrer à la tâche humaine ultime : être libre pour aimer comme je suis aimé.
Je pense que la scission du moi que j’essaie d’identifier se rapproche de la folie. Entendons-nous ! Je n’ai pas dit qu’un joint de « pot » mène le consommateur à la folie. La seule fois où j’ai entendu cette affirmation, c’était lors d’une conférence sur les stupéfiants à mon école lorsque j’avais 14 ans. Le monsieur tout à fait « straight » – monsieur-sourire-optimiste – qui a dit cela me confirma de ne pas avoir peur des drogues, car manifestement cet individu ne connaissait pas grand chose dans ce domaine. Donc, je fis la déduction : la consommation de la mari ne pousse jamais à la consommation de drogue plus forte et, par delà, possiblement à la folie. Un mensonge, même bien intentionné, n’a jamais les effets curatifs de la vérité. Dans le fait de dire la vérité, il y a un abandon de notre pouvoir. Celui, celle qui ment met en oeuvre un irrésistible désir de domination. En fait, c’est une peur quelconque qui pousse à vouloir tout contrôler. C’est dans ce sens que la vérité se rapproche de la santé mentale comme le mensonge, et la peur qui s’y cache, mène à la folie. Étrange mystère où l’Amour manquant entraîne la peur qui, à son tour, donne force au mensonge. Ce dernier n’étant pas curatif, la mort accède bientôt à son statut de plein droit : la folie. La décision de ne pas prendre de la drogue se situe moralement – sainement – dans l’acte positif de préserver sa liberté, toute sa vérité.
L’amour n’était pas au rendez-vous de Nelligan, de Rimbaud, ni d’Hitler. (Probablement qu’il y a deux sortes de folie : la folie de celui qui se sent fragile, coupable et celle de celui qui ne l’est jamais. Dans ce dernier cas, l’autre est toujours le responsable de mon malheur). Paradoxalement, l’autre est la source de mon équilibre mental par le chemin de l’amour, mais c’est aussi un défaut psychique de l’en accuser. Cela me semble être la jonction du mystère de l’amour et de la liberté humaine. L’enfer n’étant pas l’autre, mais d’être sans l’autre, sans les autres. L’humain se construit tellement par l’autre, en relations interpersonnelles, que ce besoin intense le pousse à entrer en dialogue unique avec soi-même s’il ne trouve pas écho à son besoin d’amour. Si l’autre est absent ou trop occupé à tondre sa pelouse, l’individu souffrant se crée un double, un interlocuteur sécurisant. Alors, à bout de souffle, il ouvre son ordinateur…
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